Version audio téléchargeable ci-dessus... Méditation à lire ou écouter devant une bougie ou un feu …
Alors que votre regard commence à vaciller comme la flamme devant vous, vos paupières s’alourdissent un peu, et votre vision se brouille. Elle vous transporte à l’orée d’une forêt…
Avant d’entrer, nous prenons un moment pour Lui demander la permission. S’inclinant avec patience et révérence, des signes s’enchaînent en guise de bienvenue : un coup de vent propice faisant danser les branches, le chant lointain d’un coucou revenu des terres chaudes de l’été, un bruissement dans un buisson tout proche… et hop, un lièvre qui en sort, s’enfuyant à toute allure trop pressé d’exprimer sa joie au retour du Printemps.
Ayant la bénédiction du petit peuple, nous ôtons nos chaussures, et faisons nos premiers pas dans la forêt... Le soleil est vif, l’air semble indécis quant à la température à adopter. Tantôt recouverts d’une épaisse canopée, le frisson remonte le long de notre dos. Tantôt un rayon de soleil nous ravive aussitôt et devient déjà presque trop. La Nature cherche son équilibre entre ses polarités, alors que le Jour se fera enfin l’égal de la Nuit, avant de la dominer comme il est coutume en cette période de l’année. Ce rayonnement atteint notre cœur et nous donne l’élan d’avancer et de plus profondément pénétrer jusqu’à une clairière se dégageant de la forêt. On y sent le Feu brûler, on y entend des rires s’esclaffer. Alors que nous y approchons, un druide d’âge avancé nous fais signe d’entrer.
Alors nous voici à l’orée d’une clairière ou, tous assis en cercle autour du Feu, les druides et druidesses, bardes et ovates tous âges confondus nous sourient la bienvenue. Nous prenons place timidement, avec pourtant cette sensation d’avoir toujours eu cette place, comme si elle nous avait attendu pendant si longtemps. Par les ovates, des paroles sont incantées pour apaiser le peuple des Fées dans une langue aujourd’hui oubliée. Par les bardes, des vers sont récités et des ballades chantonnées pour que nos cœurs soient unifiés. Par les druides, c’est le silence qui est imposé, dans le respect du Sacré, modifiant l’espace-temps pour que la trance soit assurée.
Notre vision se trouble encore un peu, et c’est par une lumière vive blanche là où se trouve le Feu qu’apparait une déesse belle comme l’Amour. « C’est Blodeuwedd », murmurent les anciens, « l’épouse du dieu Lugh, celle qu’il a créé de mille fleurs et plantes lorsque sa mère Arianrodh lui interdit le mariage à une femme en chaire. C’est elle qui a fait tourner la Roue de l’Année, condamnant son époux adoré, ayant malheureusement attiré de sa beauté la faveur d’un homme mauvais. Revenant à la vie, il la changea en chouette de l’ombre, afin qu’elle aussi connaisse l’art de la transformation. »
La Déesse d’une incomparable beauté, semble vers nous se tourner. D’un regard doux, aimant et enjoué, elle nous invite à contempler une primerose qui pousse à nos côtés. Alors nous nous penchons pour la respirer et, la touchant du bout du nez, nous revoici transportés vers une dimension éthérée pour recevoir son message caché.
Il fait sombre, nous ne voyons plus Rien. Il fait bon, recroquevillés ainsi, sentant la douce chaleur et odeur de la Terre qui nous entoure. Nous pourrions y rester longtemps, mais tel n’est point notre destinée. En effet, la chaleur commence à monter. Il devient difficile de supporter cet espace limité tant l’énergie nous demande de monter. La chaleur de la Terre entre dans nos artères, et l’on se sent pousser. Pousser fort contre les limites de notre corps, celle de l’espace qui nous a dorloté tout l’Hiver passé. Il est temps d’assumer sa maturité et d’éclore, de jaillir, de germer. Nos pieds se transforment en filaments, systèmes racineux puissants qui s’épandent sans relâche. Nos bras s’étirent vers le Ciel que l’on devine, pour accomplir notre tâche. Cette énergie qui bouillonne nous fait parfois mal ; personne n’a dit qu’il était aisé de trouver le Graal. Malgré tout, la foi et la confiance, la lumière et l’amour défient la méfiance. Alors on pousse, sans savoir où l’on va vraiment, sans être capable de percevoir le temps, traversés du Nwyfre, l’énergie de vie, le cœur battant. Sans savoir la couleur de notre fleur, le goût inouï de nos fruits, la forme de nos feuilles, de nos peurs et doutes nous faisons le deuil. Il n’est plus temps de se questionner, mais simplement d’avancer, pour enfin percer la terre retournée.
Nos racines ou pieds commencent à rencontrer ceux d’âmes voisines en train de cheminer. On les devine, on les ressent sans les voir, on sent qu’on n’est pas tous seuls dans le Noir. C’est bien sous Terre que l’on rencontre l’Amour et ses premiers mystères…
Et nous voilà enfin jaillissant de l’antre de Son ventre, goûtant le Soleil comme la plus délicieuse des merveilles. Les premiers efforts de succès se colorent, célébrons ensemble la Flore ! Nous voyons enfin le visage des autres pèlerins, ceux que nous avions rencontré dans les profondeurs subtiles de notre mère adorée. Paraissant éloignés, nous savons que sous la surface, nous nous faisons du pied. C’est dans le regard, leurs yeux, que nous reconnaissons ensemble notre jeu. Certains nous feront de l’ombre, grandiront plus vite, mais on pardonne vite, car les anciennes lois n’obéissent pas à la raison, mais autre chose bien au-delà. Alors nous continuons notre chemin, sachant que le peuple de la Flore ne fait qu’un, et que notre destinée n’est autre que celle de pousser, nos compagnons à nos côtés.
On sait que le travail n’est pas terminé, mais il est déjà bien entamé, et nous pouvons enfin un peu nous reposer. Mais pas trop longtemps, car la Terre demande à être labourée, et les semis arrosés, des dernières gelées protégés, et enfin d’être dorlotés pour grandir en paix.
Revenant doucement à la primerose du moment, nous nous réveillons d’un premier enchantement. La déesse de la Flore scintillante nous invite à nous approcher du centre du cercle, où elle a invoqué l’apparition d’un puits sacré. Elle nous invite à contempler l’eau qui miroite, et aussitôt transmute en chouette adroite, s’éloignant rejoindre la forêt. Alors, ses instructions en tête, nous nous aventurons sur cette seconde quête.
Les druides silencieux dans leurs trances forment une sorte de danse virevoltant dans le sens du Soleil, alors que les abeilles s’affairent à butiner pour fabriquer leur miel. Le regard fixe sur l’Eau du puits, le Soleil se reflète en œil scintillant. L’air frais rejoint cette danse de Vie, et avec une grande inspiration, nous entrons dans la transe.
Des nymphes jadis appelées les Demoiselles des Sources nous tirent dans le puits et nous font ressortir d’un autre bien plus ancien au milieu d’un village d’un autre âge. D’un temps où les Demoiselles et prêtresses des sources étaient vénérées pour leurs visions oraculaires réputées. Un temps bien avant que les Demoiselles ne fussent désacralisées par les rois et leurs soldats malavisés. Un temps où l’Eau imposait le respect, où ses vertus curatives et miracles ne rencontraient nulle adversité. Où dormir à ses côtés représentait une idéale opportunité pour demander des réponses et les rêver. Ou son seuil représentait une porte indéniable à l’Autre Monde, tout comme le tonnerre qui gronde…
De son rire enjoué, une nymphe nous rappelle le village dans lequel nous sommes censés nous promener, nous ramenant de nos pensées. C’est le crépuscule et les énergies se bousculent. Ce premier jour chérit de l’année est celui qui sera enfin plus long que les nuitées de la dernière moitié. Les servants se lèvent en premier et en guise de serment rendent leurs bougies à leurs maîtresses de maison, puisque propice est la saison au réveil par le Soleil et au couché par la nuit tombée. Un cierge de bois trône symboliquement sur les tables, servant de rappel aux privilèges d’une saison confortable. Les enfants courent dans les rues offrir des gâteaux aux fruits confits, seuls ingrédients ayant résisté aux Longues Nuits ; certains sont réservés en offrande, enterrés pour la Grande Déesse, sainte trinité. Les jeunes jouent au ballon représentant le Soleil de son disque rond, passant d’un bout à l’autre du village, alors que les énergies sont en équilibrage. Des jeunes femmes décorées de fleurs déambulent dans le village, portées sur des chaises par les jeunes hommes rouges aux visages. Les paysans volent aux champs, bœufs attelés la tête au sud pour la bénédiction de l’astre levant. C’est le vendredi saint, jour de chance, jour heureux, que fermiers, chevaux et bœufs s’apprêtent à entamer le travail laborieux. On leur donne un grain mélangé aux cendres de Litha, bénis par le Soleil en son plus haut point ce jour-là. C’est dans le sens du Soleil que tous sèmeront leurs merveilles.
Témoins de ces anciens rites et passages, il est temps de prendre congé du mirage. Une prêtresse des sources nous conduit dans une grotte humide, sa peau en devient translucide. L’eau et la pierre chargées de mystères nous ramènent au puits, au sein du cercle de nos amis.
Après un atterrissage doux et posé, le temps des adieux est arrivé. De gratitude emplis, nous embrassons nos nouveaux amis, nous souhaitant mutuellement plein de joie pour nos cheminements.
Retournant tranquillement vers la Forêt, le sol semble être de trèfles tapissé, symboles de l’ancienne trinité. Les oiseaux chantent gaiement la sainte journée, le retour du Printemps tant espéré, et comblent leurs nids des œufs protégeant leurs petits. Les bourgeons commencent à fleurir ; il faut bien renaître pour mourir.
Arrivant à l’orée du bois, on se pose, on s’assoit une dernière fois. On respire l’hummus, l’humide, la mousse, la Terre en éveil, la douceur de l’Eternel. On laisse cet air printanier danser en nous, mouvant nos poumons comme les feuilles reliées à ces troncs. Il nettoie, il balaye, il inspire, lâchons ensemble un dernier soupir.
Merci l’Hiver pour tes souvenirs, c’est maintenant le Printemps que l’on souhaite accueillir.
Voyage d'Ostara
écrit par Sarah
pour la cérémonie d'équinoxe
du 23 mars 2024
Comentários